Longueuil, le 21 avril 2023
Retour sur la manif et
la contre-manif anti-drag
Par Felix-Emil Boisvert (il/iel)
Le dimanche 2 avril 2023, une centaine de personnes étaient réunies aux abords de la bibliothèque de Sainte-Catherine, en Montérégie, pour protester contre l’heure du conte de l’artiste drag Barbada. Une contre-manifestation avait été planifiée par des militant·es LGBTQ+ et leurs allié·es, mais celle-ci avait été annulée quelques jours auparavant à la demande de Barbada. Après s’être concertée avec d’autres artistes drag, elle ne souhaitait pas donner davantage de visibilité aux organisateur·ices de la manifestation anti-drag, croyant que peu de gens allaient s’y présenter après l’insuccès de leur événement précédent à Westmount.
Constatant cependant une montée inquiétante de la haine envers les communautés LGBTQ+, des personnes trans, non-binaires et alliées s’étaient organisées de façon indépendante afin d’assurer une présence sur les lieux et dénoncer le caractère transphobe de la manifestation. En effet, de nombreux commentaires haineux circulaient alors sur les réseaux sociaux, associant entre autres la transidentité et les artistes drag à un narratif de prédation sexuelle et de trouble de santé mentale. Le P!nk Bloc Montréal avait aussi rappelé dans une publication Instagram qu’il serait dangereux de vouloir ignorer le mouvement anti-drag qui tente de s’établir au Québec puisqu’il s’inscrit dans un contexte politique plus large où l’influence de militant·es de l’extrême droite a déjà engendré un important recul des droits trans aux États-Unis.
Les manifestant·es anti-drag ont ainsi démontré leur intolérance en brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire des phrases telles que : « Arrêtez de pervertir nos enfants » et « No LGBTQ+ agenda to children ». Des rires ont aussi accueilli la prise de parole de la juriste et activiste transféministe Céleste Trianon qui dénonçait l’inquiétante perspective d’un génocide trans. Au départ des militant·es LGBTQ+ et allié·es, qui ont quitté les lieux de façon groupée pour assurer la sécurité de toustes, on pouvait entendre des manifestant·es anti-drag jurer : « On va revenir! ».
Une dizaine de jours plus tard, le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, lançait une pétition en appelant au gouvernement de cesser « toute forme de financement public des activités qui exposeraient les enfants du Québec aux drag queens ». Cet appel sonne bien creux après que la députée Jennifer Maccarone ait récemment dénoncé le financement de l’organisme Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec) qui a tenu des propos transphobes sur Twitter à l’endroit de militantes trans. En effet, PDF Québec a reçu depuis 2019 des subventions annuelles du gouvernement québécois, et ce, malgré des positions qui vont à l’encontre du Plan d’action de lutte contre l’homophobie et la transphobie. Cette incohérence est d’autant plus cuisante devant le manque criant de financement adéquat pour les organismes LGBTQ+.
Dans sa pétition, Éric Duhaime soutient également que « les drags queens ne forment pas un “genre” et sont plutôt des hommes déguisés en femmes ». Or, des personnes trans, non-binaires et des femmes cisgenres performent maintenant en tant qu’artistes drag et ce titre n’est pas réservé exclusivement aux hommes cisgenres. Cet art permet d’ailleurs d’exprimer une créativité qui dépasse même les limites du genre, incorporant parfois des éléments fantaisistes qui rappellent des créatures de contes pour enfants. Bien qu’il ait au moins raison sur le fait que les artistes drag ne représentent pas une identité de genre, nous aimerions cependant souligner qu’il s’agit plutôt de l’adoption d’une expression de genre. Laquelle fait partie des motifs interdits de discrimination prévus à la Charte des droits et libertés de la personne. Au moment d’écrire ces lignes, la pétition compte plus de 38 000 signatures.
Enfin, les militant·es présent·es à Sainte-Catherine ne se sont pas laissé·es abattre malgré l’importante démobilisation qui a suivi l’annulation de la contre-manifestation, et iels ont dansé fièrement au rythme de chansons prônant des messages d’amour et d’acceptation. C’est donc dans cet esprit que nous souhaitons souligner la force de conviction des personnes qui prennent parole et action pour que l’amour triomphe de la haine et de la peur. Nous en appelons à toutes les communautés LGBTQ+ et allié·es à se solidariser dans cette lutte et à faire preuve de bienveillance les un·es envers les autres.
Nous en appelons également aux élu·es de la Montérégie et du Québec, ainsi qu’à toutes autres personnes en position de pouvoir au sein de leur organisation, de prendre des moyens concrets et immédiats en concertation avec nos communautés afin d’assurer véritablement la sécurité, le bien-être et l’inclusion de toustes.