LES BEAUX DÉTOURS INFOLETTRE AOÛT 2020 | « Le seul véritable voyage… disait Marcel Proust, ce n’est pas d’aller vers de nouveaux horizons, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec d’autres yeux… ». Ce fabuleux voyage serait aussi d’entendre ce qui est inouï, d’apprécier de nouvelles idées, de s’ouvrir à de nouveaux contacts… Le patrimoine de la culture est immense et nous n’avons jamais fini d’en explorer les liens. C’est pour cela que j’ai fondé Les beaux détours. Si la pandémie nous contraint d’annuler, cette année, la saison que nous avions préparée, rien ne m’empêche de vous parler. Ce message et la lecture que vous en faites ne sont-ils pas déjà une amorce à la communication? Et je me prends à réfléchir à ce que nous vivons en ce moment, à l’importance qu’il faut désormais accorder à la notion de rassemblement. Le sens profond de cette réalité et son lien aux activités des beaux détours me semblent justifier le choix du RASSEMBLEMENT comme thème de ce nouveau message. Je vous propose donc d’ouvrir ensemble l’album des beaux détours pour retrouver cette ferveur qui, depuis toujours, nous pousse vers la découverte. | Il y a 20 ans, le 3 juin 2000, nous vous invitions à participer à l’un de ces formidables rassemblements à Montréal à l’occasion d’un événement musical tout aussi grandiose : la Symphonie du millénaire. | Vous vous rappelez sans doute l’impact qu’a eu le changement de siècle, lors du passage à l’an 2000. Toute cette aventure du temps qui passe et qui glisse vers autre chose avait de quoi marquer l’imaginaire. Et il est vrai qu’un tel moment n’arrive pas souvent dans une vie, il méritait bien d’être souligné. | | C’était justement l’un des objectifs de ce rassemblement. Comme une grande fête célébrant le temps nouveau, la SYMPHONIE DU MILLÉNAIRE, allait être créée devant nous, avec nous, au pied de l’oratoire Saint-Joseph. | | | La première mondiale de cette symphonie québécoise proposait un moment d’une grande intensité. Si, comme nous, vous y étiez, vous vous souviendrez de la fraîcheur de l’air, ce soir-là, et aussi du bonheur de partager avec la foule ce moment d’exception. | | | Quelques jours auparavant, nous nous rencontrions pour une conférence que j’avais préparée sur l’origine et le cheminement musical de la symphonie à travers les âges. En abordant les œuvres de Stamitz, Haydn, Mozart, Beethoven, de Berlioz, avec sa Symphonie fantastique, et d’Olivier Messiaen, avec Turangalîla – Symphonie, nous brossions un tableau d’ensemble qui nous menait jusqu’ici au Québec avec des œuvres d’artistes actuels. | | Symphonie Fantastique Berlioz | | La musique contemporaine requiert une nouvelle façon d’écrire, de lire et d’interpréter. Comment faire correspondre les notes d’une partition à des sifflets de locomotives, des sirènes de bateau? Comment transcrire musicalement des plages d’écho et de réverbération sonore suivies de silence ou, comme l’a fait Gilles Tremblay, créer un travail environnemental pour bataille de sirènes et deux locomotives? Après Walter Boudreau, Jean Derome, Monique Jean et plusieurs autres, le compositeur Jean-François Laporte a écrit l’une de ces étonnantes symphonies portuaires présentées au Vieux-Port de Montréal. Une expérience sonore bien proche de ce qu’allait proposer la Symphonie du millénaire. | Par la conférence préparatoire et l’audition des passages musicaux, je voulais ancrer la réflexion et ouvrir justement l’accès à une nouvelle expérience d’écoute. Voici, en bref, le sens du propos que je tenais alors et les liens qu’on pouvait y déceler avec notre activité de beaux détours. Déjà, en réunissant les concepts « sons - avec » ou « sons – ensemble », le mot symphonie annonce une sorte de rassemblement. Or, pour qu’ils soient « bien ensemble », pour qu’il y ait harmonie, les sons de la symphonie doivent obéir à une structure organisée. De façon générale, l’œuvre aura quelques mouvements à caractères différents et sera jouée par un orchestre. Suivant le fil de l’histoire, avant d’atteindre sa réalité définitive de symphonie, il faut passer par la sonate qui, au XVIIe siècle est une œuvre intimiste, à trois ou quatre mouvements, joués seulement par quelques musiciens. En ajoutant des mouvements à la sonate, en en variant l’atmosphère et en l’exploitant pour les soirées galantes, on voit apparaître ce qu’on appellera la suite. | À l’époque baroque, la sonate s’écoute alors que la suite se danse! | Et c’est après une incessante recherche sonore qu’arrive la symphonie. Progressivement, l’œuvre prend de l’envergure à la fois parce que les instruments sont plus performants, parce qu’on peut augmenter la dimension des salles et parce que la musique qui est créée le propose. Des salons de cour aux amphithéâtres et salles de concert jusqu’aux manifestations extérieures, on expérimente une instrumentation plus riche et des sonorités nouvelles. Le champ est bientôt libre pour qu’on assiste à des œuvres aussi audacieuses que la SYMPHONIE DU MILLÉNAIRE. | C’est au compositeur Walter Boudreau, directeur de la Société de musique contemporaine du Québec, que revient l’initiative d’un projet aussi fou : la création, en direct, d’une œuvre magistrale pour accueillir, en grande pompe, le troisième millénaire. Présenté comme une sorte de Woodstock de la musique contemporaine, l’événement de la Symphonie du millénaire était peut-être plus discipliné que la fête hippie des années 60, mais il se voulait tout aussi rassembleur et, dans sa musique, merveilleusement libre et novateur. | Par cette création mondiale, codirigée par Walter Boudreau et Denys Bouliane, on cherchait à rendre la musique contemporaine plus accessible. Ce qui est certain, c’est que la Symphonie du millénaire a permis à tout le monde de vivre, ce soir-là, quelque chose de vraiment unique. | Vous êtes-vous déjà prêtés au jeu d’écouter vraiment un son? De le prendre à son origine et de le laisser filer sa résonance jusqu’au bout? Pensez au verre qui vibre, à une porte qui grince, un papier qu’on froisse… Ce sont là des sons qui peuvent se réclamer de la vie au même titre que le chant d’un oiseau ou de la voix humaine. Autrefois, quand j’enseignais la musique à des adolescents, nous avions inventé des instruments de musique, je devrais dire, des instruments de sons. Devant la réalisation de leurs devoirs, devant le déploiement de toutes leurs créations, c’était formidable de voir se canaliser, dans la classe, une écoute aussi attentive. Les sons de la vie quotidienne sont parfois étranges, sournois, ils peuvent aussi être agréables et drôles et toujours, ils offrent une infinité de possibilités. En les regroupant, on peut créer une certaine harmonie, une petite symphonie de musique moderne. Tout est dans l’accueil que notre écoute peut offrir. | En quoi la symphonie du millénaire est-elle particulière? | Devant la maquette du site de l'oratoire, seize des dix-neuf compositeurs de la Symphonie du millénaire sont regroupés pour la photo : Serge Arcuri, Walter Boudreau, Denys Bouliane, Vincent Collard, Yves Daoust, Alain Dauphinais, Louis Dufort, André Duchesne, Sean Ferguson, Michel Gonneville, André Hamel, Alain Lalonde, Estelle Lemire, Jean Lesage, Luc Marcel, Marie Pelletier, John Rea, Anthony Rozankovic, Gilles Tremblay. | Ce n’est pas tous les jours qu’une œuvre regroupe les musiques de plusieurs compositeurs, chacun ayant sa propre expérience musicale. À l’écoute de la Symphonie, « l’exercice n’est pas de reconnaître ce qui est à l’un ou à l’autre, disait Walter Boudreau, parce qu’on s’est tous interinfluencés ». Pour unifier l’œuvre et lui donner la cohérence d’une structure, il avait été décidé d’orchestrer le travail collectif autour d’un seul et même thème issu du répertoire grégorien : le Veni Creator Spiritus. | Viens, Esprit créateur, visiter les âmes de tes fidèles, emplis de ta grâce les cœurs que tu as créés. À partir de ce chant, et de l’héritage religieux qu’il rappelle, chacun devait prolonger, à sa manière, la musique du précédent compositeur. Une façon de faire qui s’apparenterait bien au jeu surréaliste du « cadavre exquis ». | Parenthèse un peu gigogne | La Symphonie du millénaire va plus loin encore. Elle s’inscrit dans la grande histoire de la musique en perpétuant l’esprit de la Huitième symphonie dite « des mille » de Gustav Mahler. Cette œuvre d’envergure, composée au début du XXe siècle, exploite, elle aussi, la prière du Veni Creator, qui célèbre la venue de l’Esprit saint sur les apôtres de la Pentecôte. Dans la liturgie, on chante cet hymne lors d’événements exceptionnels : un 400e anniversaire et un changement de siècle sont de ceux-là. | Peut-être étiez-vous de ce beau détour printanier que nous avions programmé à Québec en mars 2008? Avec un groupe de plus de cinquante personnes, le plaisir d’écoute était palpable et la musique de Mahler n’en était que plus appréciée! | | De se promener ainsi dans les beaux détours passés permet d’entretenir des liens. Dans le rassemblement de l’an 2000, il y a plus encore. On restera fidèles au domaine religieux si on ose reconnaître dans l’interprétation de l’œuvre, une allusion presque « œcuménique » au fait de regrouper des ensembles musicaux très différents : l’Orchestre symphonique de Montréal, la Société de musique contemporaine du Québec, le Quatuor Molinari, le Studio de musique ancienne, I Musici, Les Idées heureuses, Les Petits chanteurs du Mont-Royal, la Musique du Royal 22e Régiment… Et les sept mouvements qui composent la Symphonie ont des noms hautement significatifs : Appel, Enfer, Purgatoire, Contemplation/Aurores boréales, Paradis, Ascension, Apothéose. « Si Wagner a composé ses œuvres à partir de grands mythes germaniques, disait Walter Boudreau, nous, nos racines profondes sont celles de la religion catholique. C’est notre mythologie à nous. » De là à joindre aux musiques écrites un appareillage sonore plus concret, il n’y a qu’un pas. | « C’est important d’avoir de grands projets, disait Walter Boudreau. Pour la Symphonie du millénaire, on a fait participer 2000 carillonneurs qui ont contribué au financement en achetant des cloches… ». Du grave à l’aigu, selon qu’elles étaient grosses ou petites, ces cloches, manipulées par un public devenu carillonneur, devaient interpréter les différentes sonorités requises par la partition. | | Au fil des ans, nous avons développé une bien agréable tradition. À l’issue de chaque beau détour, le tirage d’une petite surprise donne de la cohérence au souvenir qu’on en garde. En juin 2000, vous pouvez sans doute deviner de quelle nature était la surprise ! | De la cloche, du carillon, de la célébration et du rituel, le concert du 3 juin 2000 était tout cela et plus encore. Car la référence à un hymne grégorien, riche d’une longue tradition liturgique et musicale, jouait un rôle de premier ordre dans la symphonie. À la fois fil conducteur et lien entre les parties de la composition, ce thème du Veni Creator Spiritus donnait à notre perception l’assurance de quelque chose de connu en même temps qu’il facilitait l’accès à des sons différents et nouveaux. Chers amis, Comme première activité de la saison 2000, le rassemblement autour de cette Symphonie du millénaire avait tout d’une grande fête! Si, à cause de l’actuelle pandémie, Les beaux détours ne peuvent se projeter dans l’avenir, il y a dans nos circuits passés une grande réserve d’autres sujets passionnants que nous pourrons faire revivre! Je crois que le souvenir peut ainsi se porter garant de nos découvertes, c’est pour cela qu’il est bon de le garder vivant en racontant, en écoutant … Je remercie la Société de musique contemporaine du Québec de m’avoir donné l’accès à un passage musical significatif de la symphonie intitulé « Appel ». Bonne écoute ! | C’est maintenant par le biais de ponctuelles infolettres que je souhaite entretenir la communication avec vous. À bientôt! Francine Sarrasin www.lesbeauxdetours.com | | Pour associer l’art, la connaissance et le voyage, j’ai fondé Les beaux détours à l’été 1987, une entreprise en tous points conforme à mes intérêts et champs de compétence. | Formée en musique à l'École Vincent-d'Indy (Université de Montréal), j’ai aussi fréquenté l’École des beaux-arts de Montréal, fait des expériences de théâtre et poursuivi mes études en histoire de l’art à l'UQAM, puis à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris. Ma thèse de doctorat portait sur La représentation des instruments de musique dans l’art canadien. | | Professeure de musique tant au Québec qu’en France, j’ai aussi enseigné pendant plusieurs années l’histoire de l’art à l’université. Parallèlement, j’ai développé une expertise particulière dans l’analyse de l’illustration du livre pour enfants. Cela m’a permis d’agir comme commissaire d’exposition, et membre de jurys internationaux dans le domaine de l’art de l’illustration. Depuis plusieurs années, je tiens une chronique régulière dans la revue de littérature jeunesse Lurelu. C’est dans la continuité de mes expériences d’écriture et d’enseignement que s’inscrivent les voyages proposés par Les beaux détours. Les repérages préparatoires et l’important travail de recherche documentaire pour mes conférences garantissent le sérieux de l’entreprise. Par la variété et la cohérence des choix thématiques, Les beaux détours me semblent être une façon intéressante de vous offrir en partage le plaisir d’apprendre. | Crédits photographiques : Pour illustrer mon propos, la Société de musique contemporaine du Québec a autorisé la reproduction d’une partition d’Yves Daoust pour la Symphonie du millénaire, des photos de Walter Boudreau (par Jérôme Bertrand pour la SMCQ), de l’affiche du concert et de la foule du 3 juin 2000 à l’oratoire (par George Crisan pour la SMCQ). | | | | |