Coupures à BAnQ :

l'UNEQ écrit au ministre de la Culture Luc Fortin

Communiqué pour publication immédiate

Montréal, 22 juin 2017

À l’attention de M. Luc Fortin,
Ministre de la Culture et des Communications du Québec

Monsieur le Ministre,

C’est avec consternation que l’Union des écrivaines et des écrivains québécois a appris que votre ministère réduira le budget de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) — selon le quotidien Le Devoir, BAnQ « doit accuser une réduction de 2,4 millions de sa masse salariale ».

Au-delà des chiffres à la baisse et des emplois compromis, permettez-nous d’attirer votre attention sur un phénomène que l’on a tendance à négliger : le sous-développement chronique du réseau de bibliothèques publiques, à Montréal et dans l’ensemble du Québec.

Historiquement, la province a longtemps tardé à se doter de bibliothèques en bonne et due forme et n’a jamais été capable d’offrir des ressources comparables à ce que l’on peut observer ailleurs au Canada. Quand le Québec se prétend « société distincte », la distinction est en effet de taille : nous sommes en queue de peloton à l’échelle du pays !

Pour prendre la mesure de ce retard, voici quelques chiffres sur la situation montréalaise.

Un retard historique

La première véritable bibliothèque publique au Québec a été fondée par la municipalité de Westmount en 1899. Les localités anglophones cultivaient une conception « libérale » du livre et de la lecture, accessible au grand public. Pendant ce temps, l’Église catholique s’opposait à tout lieu de diffusion de matériel imprimé qui ne servait pas des fins ecclésiastiques, exerçait une impitoyable censure (la liste des livres interdits, l’Index Librorum Prohibitorum, n’a été abolie qu’en 1966) et menait de véritables campagnes contre la lecture.

En 1960, Montréal comptait cinq bibliothèques. Au moment d’écrire ces lignes, il y en a 45. Et pourtant, un retard persiste.

Ce retard a été documenté avec précision dans le dernier diagnostic des bibliothèques municipales de Montréal, qui remonte à 2005 (et qui utilisait des données de 2002). Certains indicateurs ont été mis à jour pour produire un diagnostic plus succinct, publié en 2007.

Si l’on tient compte du nombre de bibliothécaires par 6 000 habitants, par exemple, Montréal se classait au cinquième rang en 2002 (0,52), après Vancouver (1,32), Toronto (1,05), Mississauga (0,69) et Ottawa (0,59).

Le nombre de livres en bibliothèque par habitant désavantageait aussi Montréal, au quatrième rang avec 2,3 livres, derrière Vancouver (4 livres), Toronto (3,5 livres) et Ottawa (2,8 livres).

Autre indicateur, le taux de pénétration des bibliothèques (soit le nombre d’abonnés inscrits par rapport à la population) en 2002 plaçait Montréal en queue de peloton, à 37,8 %, derrière Vancouver (67,7 %), Winnipeg (62,6 %), Toronto (54,8 %), Mississauga (52,3 %), Ottawa (51,7 %), Calgary (50,9 %) et Edmonton (38,8 %). (Source : Diagnostic des bibliothèques municipales de l’île de Montréal — juillet 2005, p. 45.)

Le Diagnostic de 2007 souligne, entre autres indicateurs, que la norme de trois livres par habitant n’était pas encore atteinte. (Source : Diagnostic des bibliothèques publiques de Montréal — Données 2007, p. 13.)

Depuis 2002, seulement deux nouvelles bibliothèques ont vu le jour (du Boisé et Guy-Favreau) et deux bibliothèques ont été agrandies. Selon le Diagnostic de 2005, il manquait encore 10 nouvelles bibliothèques et sept auraient dû être agrandies...

La Grande Bibliothèque a dopé les statistiques des bibliothèques publiques depuis son ouverture en 2005 (à sa première année d’opération, cette institution a attiré 2,8 millions de visiteurs ; en 2015-2016, ce nombre était de 6,3 millions), mais la performance des bibliothèques québécoises demeure insatisfaisante. Pas plus tard que le 8 juin dernier, l’Association des bibliothèques publiques du Québec et la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec rappelaient que selon « la norme internationale ISO 11620, peu de bibliothèques publiques québécoises rencontrent les cibles minimales établies quant au nombre de bibliothécaires par 10 000 habitants. »

Pourquoi affaiblir le « vaisseau amiral » d’un réseau sous-développé ?

Monsieur le ministre, comment peut-on accepter que les 45 bibliothèques publiques de Montréal soient moins pourvues et affichent un taux de pénétration plus faible que les 23 bibliothèques publiques de Vancouver, une ville moins populeuse (environ 600 000 habitants) et beaucoup plus jeune (officiellement fondée en 1886) ?

Réduire les ressources de BAnQ, que sa première directrice Lise Bissonnette qualifiait de « vaisseau amiral » de toutes les bibliothèques au Québec, est une injustifiable régression dans un secteur culturel qui a toujours souffert de sous-développement. Et que BAnQ parvienne à maintenir ses heures d’ouverture tout en se serrant la ceinture, comme vous le souligniez dans Le Devoir du 20 juin, n’est pas un gage de qualité : à quoi bon maintenir les heures d’ouverture si les services aux usagers sont à la baisse ?

BAnQ et l’ensemble des bibliothèques publiques ont plutôt besoin d’investissements à la hausse, et constants, pour être en mesure de rattraper un retard historique et réaliser pleinement leur mandat.

Faut-il le rappeler, le rôle des bibliothèques est crucial pour les écrivains québécois et leurs lecteurs : accès à la littérature, dépôt légal, préservation des archives, ressources pour la recherche documentaire, expositions sur le monde du livre, conférences et animations dispensées par des écrivains, résidences d’écriture, etc. De plus, BAnQ est dépositaire de notre mémoire collective. Des compressions budgétaires et des pertes d’emploi dans cette institution affecteront non seulement les services directs à la population, mais aussi la gestion de notre patrimoine documentaire.

C’est pourquoi l’UNEQ incite actuellement ses 1 600 écrivains membres à protester contre les restrictions que votre gouvernement impose à BAnQ.

Veuillez agréer, monsieur le ministre, l'assurance de ma considération distinguée.

Suzanne Aubry, présidente, UNEQ

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Source : Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ)

Contact : Marie-Andrée Boivin, chargée de communications 514 591-0632 | m-a.boivin@uneq.qc.ca