Le contexte

Nous avons toutes et tous suivi les événements tragiques et le débat public entourant le meurtre de Georges Floyd aux États-Unis.

Des personnes m’ont demandé ce que je pensais de tous ces événements, à titre de président de la Maison de la francophonie d'Ottawa, et ce que nous ferons puisque nous n’avons pas émis de communiqué ou lancé des tweets à ce jour concernant cette tragédie.

Quelques réflexions personnelles

Voici quelques pensées personnelles dont j’ai fait part au conseil d’administration au courant des derniers mois pour lancer une réflexion.

Je respecte profondément tous les leaders et tous les organismes qui ont diffusé ces types de communiqués depuis quelques mois, mais je me suis demandé pourquoi il fallait attendre un tel désastre aux États-Unis avant d’agir ici.

Il y a eu des exemples notables ici à Ottawa dans les derniers temps où des leaders ont pris le taureau par les cornes lorsque le racisme a fait surface dans leur institution. Malgré bien des progrès accomplis, on a trop de situations de discrimination raciale et systémique ici au Canada, dans notre province, dans notre ville et même dans notre propre communauté où on ne dit rien et on ne fait rien.

Il y a bien des façons de tenir un genou sur le cou d’un peuple pour l’étouffer. Chaque fois qu’une institution n’est pas proactive dans l’embauche ou la promotion de gens qualifiés de la francophonie dans toutes ses expressions, elle contribue également au problème. Chaque fois qu’une institution demeure muette devant un cri de détresse d’un parent ou d’un ado victime de discrimination, elle contribue au problème. Chaque fois qu’une institution refuse de dialoguer avec un organisme ou un mouvement qui se crée pour faire avancer la justice sociale, elle contribue au problème.

Certains vœux antiracistes émis à droite et à gauche au courant des derniers mois par des gens de bonne volonté m’ont profondément blessé, en raison de leur manque d’action. Je vois tellement de souffrance causée par le racisme anti-noir et antimusulman chez mes amis proches ici même dans l’Ouest d’Ottawa. Combien de fois que les grands garçons de mes amis se font questionner par des autorités ou se font surveiller différemment dans des centres d’achat. Ça me met en colère. Je vois l’effet corrosif que cela crée chez ces jeunes…et chez les parents. Quand je dis aux parents que je veux porter plainte aux responsables, ils me disent de rester tranquille, de peur d’attirer des représailles. Ils ne veulent pas être vus comme des activistes et perdre une chance pour un emploi ou une promotion. Même des gens offrant des ateliers en compétences culturelles que l’on embauche pour traiter de ces situations ne peuvent pas toujours parler franchement et exprimer le vrai fond de leur pensée. Ils mettent de l’eau dans leur vin, déjà amer.

Lorsque nous parlons de lutte antiraciste, ce n’est pas théorique pour nous dans l’Ouest d’Ottawa. Les médias locaux ont rapporté l’incident d’un père qui se promenait avec sa fille dans un parc de l’Ouest de la ville au début de la pandémie et qui a été frappé au visage par un agent municipal. Il est important que les francophones des autres régions d’Ottawa connaissent où s’est passée cette affaire. C’était dans le parc Marlene Catterall, situé à quelque 10 minutes de marche de la Maison de la francophonie. C’est un parc très fréquenté par nos communautés de Ritchie, de Michèle Heights et de Foster Farms où demeurent beaucoup de francophones. Marlene Catterall est une géante de la francophonie de l’Ouest. Elle est membre fondatrice de la Maison de la francophonie et a siégé à notre conseil d’administration jusqu’à tout récemment. Pour nous de l’Ouest, c’est inimaginable qu’une telle agression sur une personne noire en présence de son enfant se passe dans un parc portant le nom d’une des nôtres qui a lutté toute sa vie contre le racisme et la discrimination systémique sous toutes ses formes. Nous avons réagi très fortement, chacune et chacun de sa façon. On ne cèdera pas notre quartier et notre ville à des gens qui semblent penser qu’Ottawa est le Mississippi du Nord.

Approche adoptée par le conseil d’administration

Les membres du conseil d’administration ont tenu des conversations concernant ces enjeux. Toutes et tous ont vécu ou vivent encore différentes formes de discrimination. Ce ne sont pas des actions individuelles qui peuvent effectuer des changements face à une discrimination systémique, mais bien des gestes collectifs. Pour nous, ce n’est pas une question d’adopter une nouvelle politique de ressources humaines. Des forêts entières ont été abattues dans le Nord du Canada pour produire le papier sur lequel sont rédigées par milliers des politiques de diversité et d’inclusion. De toute évidence, le travail n’est pas terminé et c’est clair que des politiques et des règlements ne changent pas des attitudes.

Notre conseil d’administration a pris une décision. Avant de dire à d’autres comment mener leurs affaires, ou de dire comment on sympathise avec les gens qui souffrent de discrimination, nous préférons étudier nos propres politiques et pratiques à la Maison de la francophonie afin d’assurer que toute discrimination systémique soit identifiée et éradiquée. En autres mots, on a décidé de faire nos devoirs chez nous et d’agir à l’intérieur de notre sphère d’influence, là où nous sommes les décideurs et avons l’autorité d’agir.

Invitation au dialogue

Le conseil d’administration veut donc créer un espace sécuritaire pour faciliter un dialogue continu sur les enjeux de discrimination systémique sous toutes ses formes.

Ce n’est pas une question d’adopter un programme, mais plutôt de se donner une nouvelle façon d’être. On veut moins parler et plus écouter, moins convaincre et plus engager, moins guérir et plus prévenir.

Nous développons en ce moment des moyens pour ancrer cette façon d’être.

1. Nous voulons saisir ce qu’est la discrimination systémique dans notre société – se former, se comprendre, se donner un narratif.

2. On veut évaluer nos politiques et nos pratiques.

3. On veut identifier la discrimination systémique existante chez nous. On est jeune et c’est un bon moment de se poser une question : y a-t-il des biais invisibles, des germes dans nos politiques et pratiques qui mènent ou qui pourraient mener à une discrimination systémique?

4. On veut remédier par l’adoption de nouvelles façons de faire. On veut assurer que le dialogue concernant la discrimination systémique soit une pratique courante à la Maison de la francophonie et non pas une mesure d’exception quand un problème éclate.

Spécificité de la francophone en milieu minoritaire : défi et opportunité

Tout ce qui précède pourrait très bien être rédigé par un organisme anglophone. Il y a par contre une spécificité bien à nous puisque nous sommes une minorité francophone dans le contexte canadien et ontarien.

Le défi – étant une minorité, nous sommes des petits nombres

Déjà en 1994, Linda Cardinal, professeure à l’Université d’Ottawa, avait souligné qu’il n’y a pas qu’une seule francophonie canadienne, mais plusieurs, aux accents divers, aux identités multiples et aux racines dans différents pays d’origine.

À cette réalité s’ajoute l’immigration récente des francophonies internationales, qui apporte des cultures différentes, souvent du continent africain. Les immigrants francophones d’origines maghrébine et subsaharienne notamment, qui constituent une proportion importante de la francophonie de l’Ouest d’Ottawa, doivent faire face à des difficultés semblables à celles d’autres immigrants, mais doivent en plus surmonter un obstacle supplémentaire : leur statut de minorité au sein d’une minorité.

Cette triple minorisation identitaire des statuts de francophone, d’immigrant et de personne de race noire accentue l’expérience discriminatoire vécue. Se passant dans des petites communautés, tout est connu et la souffrance est amplifiée.

L’opportunité : étant une minorité, nous sommes des petits nombres

Notre défi constitue également une opportunité remarquable. Étant des petits nombres, on se connaît toutes et tous. Pour accomplir quoi que ce soit, nous sommes obligés de travailler en réseaux et de créer des alliances avec des gens de toutes les communautés qui ont la même vision. Regrouper la francophonie dans toutes ses expressions comme on le fait donne une immense force à la Maison de la francophonie.

Juste parmi les membres du conseil d’administration, nous connaissons et pouvons dialoguer directement, ou par personnes que nous connaissons, avec les leaders de communautés provenant de toutes les régions du Canada et de nombreux pays du monde. Cela donne énormément de pouvoir d’influence aux gens de bonne volonté. Étant ainsi branchés, nous pouvons exporter la francophonie, non seulement la langue mais surtout nos valeurs, nos motivations…et les apprentissages de nos souffrances comme minorité qui doit encore lutter pour le respect de ses droits.

Invitation de la Maison de la francophonie à tous ses membres, ses partenaires et ses collaborateurs : créons l’égalité réelle par nous, pour nous et chez nous

Nous connaissons bien nos membres et les personnes qui composent nos communautés. Toutes les personnes desservies à la Maison de la francophonie sont en quête d’une sécurité quelconque. Il peut s’agir de la sécurité linguistique, de la sécurité raciale, de la sécurité dans son habillement, de la sécurité physique, de la sécurité dans son orientation sexuelle, de la sécurité générationnelle, de la sécurité ethnique et d’autres sécurités encore incluant celles que des gens n'ont pas verbalisées.

Les mots comptent. Agir contre le racisme ou contre la discrimination systémique est une façon négative d’exprimer les concepts. On cherche une façon positive d’exprimer notre vision. On veut agir pour quelque chose.

Notre vision s’exprime simplement : que chaque être humain qui met les pieds à la Maison de la francophonie puisse s’épanouir à son plein potentiel.

Pour y arriver, il faut une égalité réelle entre toutes les personnes.

Nous invitons alors tous les membres, les partenaires et les collaborateurs de la Maison de la francophonie à travailler ensemble pour créer l’égalité réelle…par nous, pour nous et chez nous.

Ronald Bisson

Président de la Maison de la francophonie d'Ottawa (CMFO)