Mot du comité de coordination
La pandémie de la COVID-19 nous a montré à quoi ressemble une descente énergétique rapide: transport aérien réduit à l’essentiel, annulation des croisières, déplacements automobiles plus rares, consommation locale, arrêt de l’industrie (ou presque). Pendant ces quelques semaines extraordinaires, nous avons été témoins d’une spectaculaire amélioration de la qualité de l’air et de la solidarité sociale. Ces constats positifs ne doivent pas nous empêcher de constater la gravité des impacts subis et à venir des crises économique et sanitaire.
Depuis des années, les experts du climat demandent aux gouvernements un plan de diminution contrôlée de la consommation d’énergie pour faire face adéquatement à l’urgence climatique. L’arrêt de l’économie auquel nous avons assisté avec la COVID est une descente chaotique, improvisée, qui précipite des millions d’individus au chômage. C’est un état de crise qui résulte d’une absence de planification. Nos gouvernements sauront-ils tirer la leçon de cette situation et mettre en place une véritable stratégie de transition pour une société juste et résiliente face à la crise environnementale majeure qui se profile? Il y a de bonnes raisons d’en douter.
D’abord, le fait que le gouvernement fédéral ait autorisé la poursuite de la construction de trois pipelines pendant le confinement (Coastal GasLink, Keystone XL, TransMountain), en dépit de l’opposition des populations et de l’effondrement de l’industrie pétrolière, démontre que la leçon de l’urgence climatique n’est pas encore comprise. Au Québec, le gouvernement Legault a autorisé discrètement, au début d’avril, la construction d’un nouveau pipeline d’Énergir pour alimenter en gaz la zone industrialo-portuaire de Saguenay. Ce qui devrait permettre au projet d’usine de métallurgie de Métaux BlackRock d’aller de l’avant, en bordure du Fjord, avec ses émissions de 400 000 tonnes de GES par année et la multiplication par trois du trafic maritime dans l’habitat du béluga. De plus, Legault facilite par une nouvelle réglementation la venue de Questerre Energy dans les basses terres du St-Laurent. Le retour en force de la filière gazière se profile avec la nomination à la direction d’Hydro-Québec de l’ex-présidente d’Énergir, madame Sophie Brochu, ainsi que la nomination d’un administrateur de Questerre, M. Alain Sans Cartier, au conseil exécutif du premier ministre.
En plus de ces menaces pour l’environnement et l’avenir des jeunes, la relance met aussi à risque les services publics et la démocratie. En effet, le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il mise sur la Banque de l’infrastructure du Canada pour financer de vastes chantiers à travers le pays. Cette nouvelle Banque, créée en 2017, réunit des fonds d’investisseurs privés internationaux qui pourront investir massivement dans les routes et ponts à péage, travaux d’aqueducs et d’égouts, réseaux de distribution d’électricité ou de transport en commun, avec des taux d’intérêts deux fois plus élevés que ceux dont bénéficient habituellement les gouvernements. Le modèle d’affaire est celui du Réseau express métropolitain (REM) où, sans aucun consensus social, les profits vont au privé et les déficits sont pris en charge par l’État. Sans surprise, c’est le même Michael Sabia, instigateur du REM, qui dirige la Banque des infrastructures.
La pause de la COVID aura permis à plusieurs, les chanceux et chanceuses qui sont en dehors des services essentiels, de rester chez soi et se reposer. Avec le début du déconfinement, une nouvelle réalité s’impose à nous : la vie ne sera plus comme avant. Il nous faut désormais apprendre à vivre avec une nouvelle maladie et les intérêts financiers (pas nouveaux ceux-là) qui tentent déjà de profiter de l’ébranlement général pour pousser leur agenda de dérèglementation et de privatisation, avec la destruction sociale et environnementale que cela peut entraîner.
Plus que jamais, nous devons être vigilant.e.s et présent.e.s auprès de nos municipalités. Et plus que jamais, il faudra entretenir et renouveler nos forces. Mais ce moment marque aussi une merveilleuse opportunité d’éveil collectif pour une transition vers une société juste, écologique et viable à long terme. Le train de l’Histoire est toujours en marche et, comme dit le philosophe Maurice Blanchot : «Il faut aimer l’avenir qu’on ne connait pas».