Mars 2023

Infolettre spéciale du 8 mars

Journée internationale pour les Droits des Femmes

Saviez-vous que la Journée internationale pour les Droits des Femmes (ou de la Femme) revient le 8 mars de chaque année? L’origine de cette date de grande importance s’ancre dans les luttes ouvrières et les nombreuses manifestations réclamant le droit de vote pour la Femme. Elles réclamaient de meilleures conditions de travail, ainsi que l’égalité des sexes durant une période très agitée pour toute l’Europe et le monde occidental, au début du XXe siècle.

Cette année, le Collectif de Défense des Droits de la Montérégie aimerait souligner l’importance du 8 mars avec une édition très spéciale de notre Bougeotte. Tous les articles qui se retrouvent plus bas ont été rédigés par le nouveau comité Femme et Psychiatrie du CDDM. Ce sont des articles écrits par des femmes, au sujet des femmes, sur des thématiques au cœur de nos préoccupations. C’est une occasion parfaite pour souligner une réflexion sur la défense des droits de la femme en santé mentale et d’actions observées. Espérons que ce sujet humanitaire qui touche autant de citoyennes saura rejoindre et faire réfléchir également les professionnels.

Bonne lecture!

 

Sommaire du documentaire : A World of Indifference

Ce documentaire a été réalisé afin d’éclairer le personnel infirmier et les futures infirmières aux défis du monde médical dans les unités psychiatriques. Il présente les conclusions et l’analyse découlant d’une étude qualitative de deux ans qui a exploré, de leur propre voix, l’expérience vécue par les femmes en matière d’hospitalisation psychiatrique. Il met en lumière la vision, l’appel à l’aide, des femmes qui furent institutionnalisées.

Dans leur discours, celles-ci identifient les lacunes suivantes:

On n’est pas considéré comme des individus.

On n’est pas vu comme des êtres humains avec des droits.

De prime abord, l’isolement et la mise à nu ont humilié ces femmes. Le manque de respect et les humiliations n’ont servi qu'à augmenter un sentiment d’infériorité et d’injustice. Le discours intérieur étant ‘qu’est-ce que j’ai fait de mal’ pour que l’on me traite d’une telle manière. Elles se sentent considérées comme des phénomènes perturbés, agaçants, irritants et hors de contrôle. Souvent interpellés comme des gens aux cervelles endommagées.

Les effets secondaires de la prise de médication à long terme ainsi que les électrochocs, à répétition, ont provoqué des pertes de mémoire et des difficultés d’apprentissage chez celles-ci. Ces façons de faire étant plus punitives que curatives.

La crise qui est vécue ainsi que la manifestation de cette crise n’est aucunement mise en avant-plan dans la façon d’interagir avec les patientes en milieu hospitalier. Ayant subi des abus, de la maltraitance, des stress et de l'incompréhension de leur entourage dans leur milieu de vie, ces femmes avouent que les agissements du milieu hospitalier ont soulevé une inquiétude grandissante face à leur chance de guérison et d'apaisement de leur santé mentale.

Dans ce documentaire, les femmes psychiatrisées ont voulu mettre en garde le personnel infirmier sur le principe du ‘Mets-toi à la place de ton patient, ce n’est pas votre vie, mais celle du patient’. Le système médical a fait le choix de faire taire ces ‘malades’, de toutes les manières mises à leur disposition (électrochocs et psychotropes, et ce sans écoute). Aujourd’hui la confiance est rompue et la méfiance s’est installée auprès des femmes psychiatrisées.

Alors, prenez le temps d’écouter et manifester votre empathie envers vos patientes afin qu’elles se sentent entendues et non jugées. Soyez indulgent et permettez qu’elles se vident le cœur et vivent leur chagrin tout en étant soutenues et ce, sans arrière-pensées. Il vous faut trouver ‘comment ramener le sentiment de bien-être physique et mental’ chez les femmes momentanément hospitalisées, c’est la tâche qui vous est assignée.

C'est comment nous traitons les plus démunis, qui définit notre humanité!

 

Le comité Femme et Psychiatrie du CDDM aimerait souligner le courage de ces femmes pour le partage de leurs vécues.

(appuyez ici pour visionner sous titres en Français en Anglais)

 

Femmes électrochoquées

Saviez-vous que les femmes seraient majoritaires dans les services psychiatriques, qu’elles recevraient davantage de diagnostics de dépression et consommeraient plus de psychotropes que les hommes? Et que dire du fait que les électrochocs sont administrés en majorité à des femmes?

Pour ceux et celles qui ne sauraient pas de quoi il s'agit, ce sont des traitements psychiatriques effectués sous anesthésie générale qui consistent à provoquer des convulsions épileptiques par le passage bref de courant électrique à travers le cerveau. Autrement dit, ce sont, donc, des chocs électriques cérébraux qui engendrent des crises convulsives généralisées et des pertes de conscience, utilisés à des fins soi-disant thérapeutiques.

Selon des données partagées en 2006 par le comité Pare-chocs, un regroupement d’organismes militant pour l’abolition des électrochocs au Québec, il était indiqué, à ce moment-là, que les électrochocs étaient administrés à 66% à des femmes et majoritairement, à des femmes âgées. 50% des électrochocs seraient donnés à des femmes de 50 ans et plus et 41% à des personnes âgées de 65 ans et plus. Près de 10% seraient administrés à des femmes de 80 ans et plus.

Le comité Pare-chocs soutient encore que deux électrochocs sur trois sont administrés à des femmes. Ce que confirment d’ailleurs les chiffres de la Régie de l’Assurance Maladie du Québec (R.A.M.Q.) de 2016 avec 4,777 séances pour les femmes et 2,841 séances pour les hommes. Le tableau de statistiques de la R.A.M.Q. de 2016 nous révèle également que les personnes de plus de 65 ans ont reçu près du tiers des traitements répertoriés cette année-là.

Ces données nous donnent une image terrifiante de la réalité et éclaircissent de façon évidente un phénomène anti-femmes. Dans la majorité des cas, les électrochocs ont brisé leurs cerveaux, leur mémoire, leurs fonctions intellectuelles et leur vie.

Comment peut-on expliquer ce phénomène? C’est vrai que l’électrochoc est administré plus aux femmes qu’aux hommes, mais la majorité des traitements sont donnés pour des dépressions majeures. Il y a plus de femmes qui sont touchées : deux cas sur trois de dépression majeure sont des femmes. Il s’agit d’une différence masculin-féminin dans la dépression qui apparaît dès l’adolescence; sans compter que les femmes consultent plus que les hommes. Ces traitements sont administrés à des femmes sans leur consentement libre et éclairé et s’inscrivent dans un continuum de violence genrée.

Les électrochocs ont de multiples effets sur les femmes; physiques, psychologiques, familiaux et sociaux. Ce sont les conditions économiques, sociales et culturelles dans lesquelles les femmes vivent qui sont largement la cause de l’état de santé mentale des femmes. Les femmes sont plus nombreuses à vivre dans la précarité financière puisque le salaire moyen des Québécoises est largement inférieur à celui des hommes. Combiné à cela, le fait qu’elles veillent au bien-être de leurs enfants – parfois toute seule (monoparentale) – et/ou encore de leurs parents vieillissants et malades; et ce, tout en travaillant. Les femmes vivent la surcharge et le grand stress occasionné par ces situations.

Il y a, aussi, une autre réalité, celle de la violence physique et psychologique dont les femmes sont victimes. Les électrochocs ont beaucoup perturbé et même brisé leur vie définitivement. Ce sont des moyens utilisés pour contrôler les femmes, pour les mépriser, pour les punir, pour renforcer les rôles sexospécifiques, pour les faire taire, pour imposer le silence aux femmes à propos d’autres formes d’abus.

Il est évident pour nous que les électrochocs sont une agression traumatisante pour celles qui les subissent et pour les personnes qui en sont témoins. La sismothérapie ou l’électroconvulsivothérapie ou E.C.T. constitue une pratique abusive de la psychiatrie. Il est grand temps de démédicaliser la souffrance féminine et de se défaire de cette idée préconçue qu’elles sont fragiles et plus susceptibles de craquer sous la pression.

Étant donné que les femmes âgées ne sont pas valorisées dans les cultures occidentales, étant donné qu’elles sont déjà aux prises avec des problèmes de mémoire, étant donné la vulnérabilité générale de cette tranche de population et étant donné la résurgence du traitement de choc, il est urgent d’agir!

Cessons de voir la souffrance des femmes comme un déficit individuel. Il faut collectiviser les problèmes, donner accès à des alternatives en dehors du système médical, favoriser le respect de leurs droits, y compris celui du consentement libre et éclairé.

Bien que la médicalisation camoufle la violence, les électrochocs constituent essentiellement une agression envers la mémoire, le cerveau et l’intégrité des femmes. Il en résulte une interférence dans le fonctionnement social et une perte importante aux niveaux personnel, créatif et spirituel. Les pertes de mémoire isolent les femmes des autres, elles ont une incidence sur leur rôle de mères et leur font vivre de la honte, de l’angoisse, ainsi que l’impression d’être diminuée et une profonde aliénation. La très grande majorité des femmes ont l’impression qu’on leur avait volé leur vie et leur identité.

LA MÉMOIRE, C’EST SACRÉ!

 

Mise à nue

Nul besoin d’être aveugle à la notion que toutes personnes travaillant de près ou de loin dans le domaine de la psychiatrie seront confrontées de façon quotidienne à toutes sortes de violence. Celles-ci prennent différentes formes, mais il n’en demeure pas moins, des formes inacceptables de brutalité envers des personnes vulnérables. Nous même, au Collectif, sommes souvent mis au fait d’acte de violences physiques et verbales, que ce soit envers le/la patient.e ou sa famille. L’impact immédiat de la violence se traduit par la peur, la terreur, l’insomnie, l’hébétude, le silence, la honte et la culpabilité. En ce qui concerne les impacts à long terme, il y a par exemple, la dépression, les idées suicidaires, les tentatives de suicide, la faible estime de soi, des altérations qui peuvent être importantes en ce qui a trait aux habitudes de consommation, de loisir, de travail. Peuvent aussi apparaître des troubles sexuels, des troubles du sommeil et de l'appétit, différentes formes d’anxiété (phobie sociale, névrose obsessionnelle) et une grande fatigue.

Une des plus choquantes forme de violence, à notre avis, est relative aux ‘’soins institutionnels’’. Nous savons qu’en société plus de femmes que d’hommes ont vécu de la violence physique et sexuelle tant dans l’enfance qu’à l’âge adulte. Les femmes ayant des problèmes de santé mentale majeurs et ayant vécu de la violence sont plus à risque d’être hospitalisées. Or, elles peuvent vivre dans les centres hospitaliers un type de violence dite institutionnelle. Cette violence se traduit par l’application de certaines pratiques psychiatriques, notamment en ce qui concerne les mesures de contrôle telles l’isolement, la contention mécanique et de la contention chimique.

Rappelons-nous que tous professionnels de la santé à l’obligation d’obtenir le consentement libre et éclairé d’une personne en vertu de la loi sur les Services de Santé et les Services sociaux à l’exception de l’administration d’un soin d’urgences ou dans une telle situation où une personne aurait été jugée inapte à consentir. Des mesures de contrôle sont souvent appliquées sur les unités d’urgences et psychiatriques (isolement & contentions) dans l’objectif de ‘contrôlé’ une personne turbulente, émotive ou agressive. Ces mesures ne tiennent pas compte de la dignité, du respect primordial de la personne et enfreignent la liberté tant sur le plan physique que psychologique.

L’isolement est une mesure de contrôle qui consiste à confiner une personne dans un lieu, pour un temps déterminé, d’où elle ne peut sortir librement. La contention est une mesure de contrôle qui consiste à empêcher ou à limiter la liberté de mouvement d’une personne en utilisant la force humaine, un moyen mécanique ou en la privant d’un moyen qu’elle utilise pour pallier un handicap. Il existe également la contention par des substances chimiques : on limite la capacité d'action d’une personne en lui administrant un médicament.

Une mesure d’exception ne devrait être utilisée (exclusivement) que lorsque le comportement de l’usager présente un danger réel ou imminent pour sa sécurité ou celle d’autrui, comme stipulé dans l’article 118.1 de la loi de la santé et des services sociaux. Ce n’est pas le cas, et ce genre de pratique peut causer un état de victimisation secondaire chez les femmes, car elles ne tiennent pas compte de l’historique de violence des femmes.

Lors d'une situation où l’isolement, les mesures de contention et les injections médicamenteuses contraintes sont appliqués envers une femme qui aurait subi des violences physiques ou sexuelles par le passé, ces interventions sont en réalité des actes d’une violence inouïe qui peuvent reproduire le traumatisme que ces femmes auraient pu vivre. Elles se retrouvent devant un sentiment d’impuissance, une trahison, une dynamique d’abus. Il est évident que ces mesures reflètent toujours un échec de communication avec la personne, et celles-ci peuvent avoir des conséquences plus que désastreuses.

Une approche multisectorielle s’impose pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes, et le secteur de la santé y joue un rôle critique. Il lui importe, entre autres, d’offrir des services complets et de qualité et axés sur les survivantes, sensibiliser les prestataires de soins de santé et les former de sorte qu’ils puissent répondre aux besoins des survivantes avec empathie et sans porter de jugements.

Alors que dire de ces moments dits exceptionnels où une femme en crise serait maintenue de force par des gardes de sécurité, mise à nue et puis attachée, bras et pieds de façon à être complètement sans défense et exposé, isolé pendant des heures sous les yeux d’un homme inconnu qui en assurerait la surveillance. Si prévenir la résurgence de la violence demeure l’un des mandats du secteur de la santé, comment se fait-il que de telles actions se produisent de façon récurrente encore aujourd’hui au Québec?

À l’Assemblée mondiale de la Santé qui s’est tenue en mai 2016, les États membres ont approuvé un plan d’action mondial visant à renforcer le rôle du système de santé dans la lutte contre la violence interpersonnelle, en particulier à l’égard des femmes, des filles et à l’égard des enfants.

Quand est-il alors des femmes psychiatrisées? Dans un département d’urgence ou psychiatrique, la conceptualisation de la violence, son identification, ainsi que la façon dont elle est gérée semblent plus complexes qu’une simple identification de ‘’facteurs’’. Il semblerait que la violence relève d’une définition très large qui inclut des comportements dérangeants, reconduits comme étant ‘’potentiellement dangereux’’. Il est clair que pour certains, la personne n’est pas en mesure de prendre pleinement conscience de ses gestes et de ce qui lui arrive, et c’est une perception qui est apparemment bien ancrée chez plusieurs membres du personnel.

Selon la recherche « Experience of Hospitalization and Restreint of Woman Who Have a History of Sexual Abuse » portant sur les pratiques psychiatriques et l’impact que cela peut avoir sur la santé des femmes, il est clairement démontré que l’isolement, la contention et les substances chimiques provoquent chez les femmes des réactions émotionnelles intenses telles que la rage et l’anxiété. Alors, comment se fait-il qu’en 2023, après des mouvements comme #METOO, il apparait que des stratégies de prévention pour désamorcer des comportements d’exceptions ne soient pas encore instaurées? Des solutions alternatives réfléchies sont nécessaires pour assurer la sécurité des patientes sur l’unité. Il apparait que la condition féminine est encore une fois laissée de côté dans les milieux psychiatriques.

 

« Elle doit être folle! Le discours psychiatrique : les troubles de la personnalité et la régulation des femmes subversives. » - extraits d’un essai de Jennifer L. Reimer

Les femmes déviantes ont été étiquetées et soumises à des méthodes coercitives de « correction » à travers toute l'histoire. La violation des rôles socialement prescris et la transgression des normes concernant le comportement culturellement « acceptable » pour une femme garantit d'être soumise aux mécanismes régulateurs des plus puissantes institutions de la société. En utilisant la théorie sociologique, la généalogie, et l'analyse critique du discours, nous constatons le pouvoir omniprésent de la psychiatrie et plus largement de l'institution psy dans la culture occidentale actuelle, en retraçant ses remarquables succès dans la régulation des femmes, dans la suppression de la possibilité de l'organisation des femmes et de l'action révolutionnaire, et dans la perpétuation des mêmes restrictions sur l’expérience du monde d'une femme que celles imposées tout au long de l'histoire.

La recherche féministe sur la psychiatrie (Blum et Stracuzzi 2004, Busfield et Campling 1996, Chamberlin 1975, Chunn et Menzies 1990, Martin 1982, Plechner 2000, Smith 1975) utilise une critique similaire de la validité des diagnostics psychiatriques à celle initialement postulée dans les premières études critiques de la psychiatrie ainsi que dans les nombreuses branches de l'antipsychiatrie, de la Mad Pride, et des groupes et des mouvements pour les droits des personnes. Ces individus et organisations variées conviennent généralement que le savoir et l'expérience de la folie surviennent non pas d'une anormalité médicale individuelle, mais des structures culturelles, économiques et de pouvoir de la société dans laquelle des comportements « fous » se produisent (Becker 2000, Caplan 2006, Elden 2006, Foucault 1965). Thomas Szasz, une des plus vives figures dans la bataille pour contester le monopole des disciplines psy sur la définition de la «normalité» ou de «l'anormalité» humaine, a été le premier chercheur à faire un parallèle entre le phénomène ancien de «sorcellerie» et l’étiquetage des femmes en tant que sorcières, et le phénomène plus récent de diagnostic des femmes comme «malades mentales», considérant que les deux concepts ont fonctionné pour définir la conduite féminine acceptable et pour fournir des punitions pour la déviance, qui apparaissent maintenant souvent sous la forme de « traitement » médical.

Depuis que le sujet a été rendu public pour la première fois, les chercheuseurs féministes ont examiné les conditions et processus qui permettent aux femmes d'être rendues déviantes et régulées au nom de la «santé mentale», bien que le consensus social concernant la légitimité de ce concept soit tellement omniprésent que le simple fait de soulever des questions sur son sens, son utilisation, ou l'industrie qui en tire du pouvoir pourrait conduire la/le coupable à être diagnostiqué·e comme «folle/fou» (Chamberlin 1975, Chunn et Menzies 1990, Kaplan 1983, Lerman 1996, Smith 1975).

Le DSM – cette bible psychiatrique

Le manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM), une publication de l'Association Américaine de Psychiatrie (AAP), sert de « bible psychiatrique » (voir Kutchins et Kirk 1998) pour la maladie mentale, et définit les critères d'un nombre toujours plus grand de troubles. Maintenant dans sa cinquième édition, le DSM-V énumère près du triple de troubles et diagnostics de sa première édition. C'est le manuel standard utilisé par tous les psychiatres et autres cliniciens comme outil de diagnostic des patient·es. Bien que la validité de toute l’épidémiologie du DSM a été contesté (Kutchins et Kirk 1998, Rose 1986), il demeure le principal outil de travail et de classification de la « science psychiatrique » en Amérique du nord. La classification spécifique examinée ici – les troubles de la personnalité (TP) – est celle qui comporte le moins de ressemblance avec les maladies physiques, qui utilise un langage plus particulièrement vague et hautement interprétable, et révèle avec transparence sa possible utilisation comme outil pour la pathologisation, l'oppression, et le contrôle social des femmes. Si on focalise sur les trois troubles de la personnalité qui sont le plus exclusivement diagnostiqués chez les femmes : le trouble de la personnalité histrionique (TPH), le trouble de la personnalité dépendante (TPD), et le trouble de la personnalité borderline (TPB) nous sommes à même de constater que les critères pour ces « troubles » (énumérés dans le DSM) décrivent des comportements genrés stéréotypés, des caricatures de rôles féminins dans la société moderne contemporaine, ainsi que des réponses courantes à l'oppression.

La théorie féministe : les stéréotypes genrés et la double contrainte

La socialisation des enfants depuis la petite enfance reflète et perpétue les stéréotypes genrés. Comme l'ont souligné de nombreuseux théoricien·nes, les femmes sont associées aux comportements « expressifs » et à la « communion », tandis que les hommes sont associés avec le comportement « instrumental » et «l'agency» [«agency» renvoie à la capacité d'autonomie, d'action sur le monde]. On apprend aux jeunes garçons à être autonomes et agressifs, tandis que l'on apprend aux jeunes filles à être dépendantes et passives.

Le renforcement des comportements genrés est puissant, il s'accomplit à travers un traitement différentiel et un système complexe de récompenses et de punitions formelles et informelles, ancré dans presque toutes les interactions sociales. Les traits assignés aux filles et aux femmes sont ceux que la société dévalue, ce qui conduit à un traitement différentiel et des expériences négatives pour les femmes, y compris le fait d'avoir une plus grande chance d'être diagnostiquées comme souffrant d'un trouble psychiatrique, en particulier lorsque ces traits sont exagérés.

La caractérisation genrée [« gender typing » en anglais] est flagrante dans les TP, même sans examiner leurs critères spécifiques. On peut aisément regrouper les TP répertoriés en 3 groupes différents qui à première vue révèlent des stéréotypes communément répandus sur les hommes et les femmes. Le groupe A, incluant uniquement des troubles diagnostiqués plus fréquemment chez les hommes (troubles de la personnalité paranoïaque, trouble de la personnalité schizotypique, et le trouble de la personnalité schizoïde), sont classifiés sous une rubrique « comportement bizarre ou excentrique ». Tandis que, le groupe B, comprenant le TPB et TPH, utilise une rubrique nommée « comportement dramatique, émotionnel, ou erratique », et le groupe C, qui comprend le TPD, est rangé dans les « comportements anxieux et craintifs ».

Le groupe uniquement constitué de troubles plus fréquemment attribués à des hommes manque de toute référence à l'émotivité, alors que les deux autres se focalisent sur les émotions, les étiquetant comme problématiques. Tandis que les schémas de la masculinité hégémonique (relatif à la suprémacie) découragent les hommes d’exprimer leurs émotions, les femmes sont associées à l'émotivité, et ici elles sont pathologisées pour en avoir trop exprimé. Une analyse des critères pour les trois TP majoritairement diagnostiqué chez des femmes, démontre qu'ils constituent un spectre de comportements féminins acceptables et culturellement prescrits – par exemple, une femme ne doit pas être trop dépendante d'un compagnon masculin, puisque cela est décrit comme un comportement caractéristique du TPD, mais elle ne doit pas non plus s'adonner à des relations non sérieuses, un critère listé à la fois pour le TPH et le TPB. Une norme – un standard socialement partagé concernant une conduite culturellement appropriée et désirable – est définie et sert de critères d’appréciation et d’observance.

La double contrainte

Dans la société en général, les femmes et les filles sont pénalisées à la fois pour s'être conformées aux normes et avoir échouer à se conformer aux normes qui relèvent du comportement féminin « approprié ». Cette situation paradoxale constitue une « double contrainte » – une situation dans laquelle quelqu'un·e reçoit des messages contradictoires, et cela ne diffère pas d'une situation dite « doublement perdante ».

Toutes les femmes dans notre société sont confrontées à une double contrainte – elles peuvent soit se conformer à la conduite féminine « adéquate », renforçant leur subordination et leur impuissance, ou bien elles peuvent se rebeller en adoptant des traits supposément « masculins » comme l'indépendance et la rébellion, et alors faire face au châtiment et à l'aliénation. Les deux choix peuvent conduire à un diagnostic psychiatrique, et plus une conduite est extrême, quelle qu’en soit la direction, plus grande est la probabilité qu'elle soit sanctionnée.

C’est un dénommé Kaplan qui fournit la première critique féministe des troubles de la personnalité en 1983, soutenant que certains TP – le TPH et TPD, en plus du « trouble de la personnalité évitante » (TPE) – peuvent être perçus comme des caricatures des rôles féminins traditionnels, et peuvent être utilisés pour punir les femmes qui se sur-conforment ou se sous-conforment aux normes de genres.

De plus, le DSM définit les conséquences du TP comme étant « soit une déficience significative dans le fonctionnement social ou occupationnel, soit une détresse subjective », n'admettant pas la possibilité que la « perturbation » en question soit due à un conflit entre l'individu et la société, et non l'indice d'une «déficience».

Les cinq ans qui ont suivi la sortie du DSM III, le TPB est devenu le TP le plus diagnostiqué, à très forte majorité – pour ne pas dire presqu’exclusivement – chez les femmes.

Encore aujourd’hui, les femmes représentent « l'Autre » dans le discours psychiatrique. La logique binaire de notre culture, dualistique, hiérarchique et encore largement patriarcal, est toujours à l’œuvre. Les traits « féminins » sont non seulement encore dévalués et placés dans une position subordonnée, mais sont encore médicalisés et pathologisés, comme on le voit nettement dans les critères des TP.

Extraits de: « She must be crazy, Psychiatric Discourse, The DSM “Personality Disorders”, and the Social Regulation of Subversive Women », essai de Jennifer L. Reimer, 2009 - texte traduit en français et publié sur www.zinzinzine.net en 2016.

 

Femmes et folie d’hier à aujourd’hui : psychiatrie et contrôle social

Lieux de soins et de traitement de la maladie mentale, les hôpitaux psychiatriques peuvent aussi se transformer en puissants outils de régulation sociale, par exemple lorsque sont internées contre leur gré des personnes jugées dangereuses. Le comité Femmes et psychiatrie du CDDM abonde dans le même sens que Le Collectif Action Autonomie a effectivement remarqué à travers des rapports de recherches terrain que la dangerosité pouvait « être comprise de façon totalement arbitraire, dans le sens d’une « inadaptation » sociale, de marginalité, de non-conformité avec ce que les préjugés de la société considèrent comme « normal » La psychiatrie, outil de contrôle social et de mise au pas. Action Autonomie Québec dénonce des violations des droits de l’homme – Pharmacritique

L’essor de l’asile au XIXe siècle

En Occident, l’asile naît au tournant des XVIIIe et XIXe siècles dans un contexte particulier : celui de l’industrialisation, de l’urbanisation et de l’explosion capitaliste. Alors que les malades étaient auparavant tout simplement enfermés dans des hôpitaux généraux ou même des prisons, ils vont désormais disposer d’un lieu qui leur est dédié, et dans lequel on cherche à les « soigner ».

Il est intéressant de noter que l’asile éclot à un moment où la perception même de la folie évolue par l’élargissement de sa définition. En plus des personnes atteintes de troubles mentaux, la folie concerne donc des individus qui détonnent avec la norme bourgeoise et masculine de l’époque. L’asile va donc mettre en place ce que l’on pourrait qualifier de thérapie des mœurs dont l’objectif est de reprogrammer les personnes aliénées à agir « normalement ». Ainsi, la médecine aliéniste se fait gardienne de l’ordre. Au XIXe siècle, l’asile est donc un outil de contrôle social aux mains de la bourgeoisie installée dans un système patriarcal. Il substitue à un enchaînement physique un enchaînement moral.

De nombreuses femmes prennent ainsi le chemin de l’asile parce qu’elles ont refusé, consciemment ou non, le rôle traditionnel qui leur était dévolu : celui d’épouse et de mère. La psychiatrisation du XIXe siècle va également réprimer des comportements féminins jugés déviants ou dangereux.

Les femmes qui sortent des sentiers battus, qui se révèlent insoumises, en privé ou en public, qui se révoltent contre les forces de l’ordre ou qui cherchent à transcender leur statut en s’impliquant en politique, risquent l’enfermement. Les femmes qui font carrière ou qui veulent étudier pour changer de statut social peuvent aussi rentrer dans la catégorie des « aliénées ».

Toutes des nymphomanes! : la peur de la sexualité féminine

Sous prétexte de nymphomanie (hypersexualité ou sexualité compulsive), d’érotomanie (conviction délirante d’être aimée) ou encore de lubricité (penchant prononcé pour le sexe et plaisirs charnels), on interne des femmes ayant des pratiques sexuelles libérées ou non conventionnelles, qui se désintéressent de la vie conjugale, délaissent leurs époux, prennent des amants, comme cette femme fréquentant un homme de vingt ans son cadet. Les prostituées sont bien évidemment suspectes. Leur internement est aussi relié (à l’époque) à la peur de la syphilis et à la contamination du corps social.

De même, les médecins établissent un lien entre menstruation et folie. Selon eux, c’est le dérèglement du cycle qui produit l’aliénation. Ils mettent donc tout en œuvre pour rétablir le cycle. Bien sûr, la sexualité doit être muselée, et la masturbation condamnée. Pour les « cas désespérés », les aliénistes vont ainsi jusqu’à pratiquer l’amputation du clitoris.

Asile et contrôle social

Le point commun entre toutes ces figures de l’internée? Il s’agit de femmes qui ne restent pas à leur place, qui se révoltent, chacune à leur manière, contre l’ordre établi. Certaines adoptent des comportements sexuels dits « masculins » en recherchant le plaisir, ou en se faisant dominantes. D’autres tentent de transcender leurs rôles traditionnels de mères et d’épouses en accédant aux sphères masculines d’activités. La structure asilaire va donc chercher à reformater ces femmes. Pour cela, elle impose aux aliénées la soumission, la passivité, la modération et l’obéissance, toutes les caractéristiques attendues d’une bonne épouse et d’une bonne mère, en utilisant la peur comme agent thérapeutique.

Alliant méconnaissance du corps féminin et présupposés moraux et scientifiques, l’asile participe au confinement des femmes à la sphère privée, à leur relégation à la maison, aux rôles d’épouses et de mère. En contrôlant leurs corps, il restreint aussi leur sexualité. Comme d’autres institutions de son époque, l’asile est ainsi un moyen de maintenir les femmes dans leur position de subalternes. Il est en cela un véritable outil de contrôle social.

Et aujourd’hui?

Si les choses ont changé, le traitement psychiatrique des femmes reste problématique. Ainsi, il faut savoir que, lorsqu’une femme se rend chez le généraliste pour une dépression, de l’anxiété, ou autre, elle a plus de chance qu’un homme de se faire prescrire des antidépresseurs et des anxiolytiques.

De plus, il est important de noter qu‘une majorité de personnes traitées avec l’électroconvulsivothérapie (électrochocs) sont des femmes. Or, cette technique est préoccupante, notamment car son efficacité est incertaine. Si les électrochocs parviennent à soulager les personnes dépressives pour quelques semaines, ils se révèlent médiocres pour traiter la schizophrénie et les manies. Et, même lorsqu’il est efficace, ce traitement ne fait que maîtriser les symptômes, et non guérir le ou la malade. En outre, les électrochocs produisent de nombreux effets secondaires plus ou moins graves (état confusionnel, troubles de la mémoire, lésions vasculaires et cérébrales, complications cardio-vasculaires, etc.).

Enfin, lorsqu’elles se retrouvent en institution, les femmes subissent un traitement différentiel par rapport à leurs homologues masculins. Malheureusement, nos lectures nous mènent à constater que les hôpitaux psychiatriques perpétuent la soumission féminine en infantilisant et décrédibilisant leurs patientes. Les femmes sont également la cible de remarques misogynes et même de harcèlement, comme l’illustrent plusieurs propos et témoignages relatés dans « La Reconnaissance des expériences des femmes en psychiatrie. Rapport de recherche concernant l’impact des hospitalisations en psychiatrie sur la vie des femmes », 2015.

En participant à l’assujettissement des femmes, la psychiatrie actuelle joue donc encore un rôle dans la reproduction des inégalités entre les hommes et les femmes. Si le chemin parcouru depuis le XIXe siècle est indéniable, la situation des internées reste un problème.

Traitement différentiel, discrimination, infantilisation, sexisme et préjugés restent le lot des femmes ayant des problèmes de santé mentale.

Femmes et folie d’hier à aujourd’hui : psychiatrie et contrôle social – Réseau québécois d'action pour la santé des femmes (rqasf.qc.ca)

 

Notre propre résistance

Depuis longtemps, le corps de la femme a été médicalisé: puberté, contraception, fécondité, maternité, ménopause. À cette emprise de la médecine s’est ajoutée la mainmise de la psychiatrie qui transforme la souffrance psychique en « trouble mental », et ce, sans égard aux conditions économiques, sociales et culturelles dans lesquelles les femmes vivent.

Il ne faut pas punir l’expression de leur souffrance, car, comme l’indique avec justesse le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes, qualifier de pathologies les problèmes de ces femmes accentue les sentiments de honte et d’impuissance qu’elles éprouvent.

Les femmes vivent des symptômes, certes, mais ces symptômes sont ceux d’une société malade.*

Le comité Femme et psychiatrie du CDDM espère de tout cœur un changement au niveau des situations que les femmes vivent en société. Devant l’intolérance, la haine et l’exacerbation des violences vécues par les femmes, devant les discours et les actions dégradants et sexistes, devant les inégalités entre les femmes et les hommes, nous opposons notre propre résistance féministe!

*Extrait de : Pathologisation et Médicalisation de la souffrance des femmes. Doris Provencher, directrice générale de l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ)