Lettre ouverte
Pour diffusion immédiate
Montréal, le 23 février 2021
Cher•es québécois•es,
Mardi dernier, François Legault a ajouté l’Outaouais à la liste de régions québécoises en zone orange, impliquant que les salles de spectacles pourront réouvrir leurs portes à partir du 26 février. Ce fut un soulagement énorme pour un peuple qui valorise sa culture locale comme aucun autre en Amérique du Nord. Par contre, les petits lieux de diffusion indépendants, qui présentent plus de trois quarts des spectacles en musique à travers la province sont condamnés à rester fermés, en zone orange comme en zone rouge. Nous croyons qu’il est important de mentionner ce fait dans un discours public et ainsi offrir notre perspective sur le sujet.
En tant que Directeur Général des SMAQ, l’association représentant les petits lieux de diffusion indépendants en musique au Québec, je vois à quel point il sera difficile pour nos salles d’ouvrir dans les conditions actuelles. En fait, il y a tellement de barrières en place que nous nous demandons si le gouvernement comprend effectivement la réalité de nos salles et les conditions précaires dans lesquelles elles opèrent.
Parmi nos membres, plusieurs sont des lieux mythiques et incontournables de nos grandes métropoles, dont parmi eux : Le Lion d’Or et La Sala Rossa à Montréal et l’Anti à Québec. Notre association inclus aussi des lieux présentant une proportion extrêmement importante de leur offre culturelle municipale en région comme le Café du Clocher à Alma, Le Minotaure à Gatineau, le Salon Wabasso de la Microbrasserie Le Trou du Diable à Shawinigan ou bien Le Zaricot à Saint-Hyacinthe.
La plupart de ces lieux possèdent un permis d’occupation de bar spectacle, particulièrement ceux situés en région. Malgré leur rôle de vecteur culturel important, la possibilité d’obtenir un permis en tant que salle de spectacle est souvent très onéreux, voire impossible. Comme ces lieux sont historiquement (jusqu'à cette année exceptionnelle) exclus des programmes publics de financement culturels, ils utilisaient les revenus de bar et de restauration pour souscrire à leur mandat culturel. À savoir que le 7 $ que vous payez pour une pinte en temps normal est réinjecté directement dans nos infrastructures culturelles collectives. Je vous rappelle que ces lieux hébergent plus de 75% des spectacles de musique en salle à travers le Québec. Cela représente la majorité des prestations mettant en vedette les artistes québécois•es et la quasi-totalité de nos artistes émergents.
À l’annonce des nouvelles directives pour les zones orange, ces lieux mentionnés ci-dessus doivent toutefois demeurer fermés, malgré leur capacité démontrée de respecter les mêmes mesures sanitaires que les théâtres, maisons de la culture et cinémas. Notre gouvernement provincial permettra seulement l’ouverture des lieux de diffusion ayant des « places fixes assignées », c’est-à-dire des sièges qui sont ancrés dans le plancher. Ces critères excluent la quasi-totalité de nos lieux, et ce malgré le fait qu’ils aient démontré leur capacité d’offrir des configurations de salles sécuritaires en utilisant du mobilier modulable. De plus, un couvre-feu de 21h30 représente un cauchemar logistique. Il implique l’avancement de l’heure du spectacle, ce qui risque de générer bien des annulations donc un nombre important de remboursements. Les gens qui décideront d’assister au concert devront, après leur journée de travail, aller chercher leurs enfants à l’école, préparer à souper et se diriger à toute vitesse vers la salle. Aussi, un couvre-feu à 21h30 implique une fin de spectacle au moins une heure avant, ce qui laisse une fenêtre restreinte dans laquelle présenter un spectacle. Souvent, les personnes vivant en région doivent se déplacer en voiture et habitent à des kilomètres en périphérie.
Nous nous demandons donc : ces conditions de réouvertures s’appliquent à quelle réalité? Tandis qu’une partie importante des arts de la scène se passe dans des théâtres et maisons de la culture à places assises, la plupart des spectacles de musique se passe dans les salles de spectacles qui elles n'ont pas reçu l’autorisation de réouvrir.
Nous craignons que ces contraintes poussent nos salles à rester fermées sur une plus longue durée, sans avoir de réel impact sur la propagation du virus. Nous sommes extrêmement préoccupés du fait que notre gouvernement provincial est sur le bord d’omettre toute une partie du secteur culturel, ce qui causera encore plus de dommage à notre secteur déjà durement affecté et ce, malgré le fait, que ces lieux ont démontré ne pas être des vecteurs de transmission. L’été dernier, nos membres étaient capables d’ouvrir de nouveau leurs lieux sous les mêmes conditions sanitaires que les diffuseurs dit « traditionnels » en ne causant aucune éclosion.
Les SMAQ et ses membres travaillent avec le gouvernement depuis le début de la pandémie pour assurer la survie de l’industrie culturelle québécoise. Nous avons été considérés aux côtés d’autres sous-secteurs de l’industrie culturelle. Nous avons démontré que nous sommes tous capables de travailler ensemble pour notre bien-être collectif et nous continuerons d’offrir notre aide pour la suite des choses.
Le Ministère de la Culture et des Communications a introduit des mesures d’aide en urgence visant les artistes, plus précisément toute la chaine de professionnels travaillant en musique. Nous sommes extrêmement reconnaissants de cette aide et nous les félicitons de cette initiative. Cependant, en interdisant les lieux de diffusion à réouvrir, ces artistes émergents continueront d’être mis à l’écart des scènes québécoises malgré le passage en zone orange de plusieurs régions. Autrement dit, cette « réouverture » ne s’applique pas à la majorité des artistes et travailleurs culturels québécois en musique.
Nos salles se préparent depuis le printemps dernier à accueillir un public selon des conditions saines et adaptées. Notre demande est claire : en zones orange, laissez nos lieux de diffusion indépendants remplir leur mandat culturel et ainsi offrir aux artistes et aux professionnels de la scène, du travail valorisant et au public un peu d’espoir dans cette période difficile. Appuyons la culture pour tous et par tous!
- Jon Weisz, Directeur Général
Les Scènes de Musique Alternatives du Québec (Les SMAQ)