Chères productrices,
Chers producteurs,
La semaine dernière, nous avons abordé la nécessité de remettre en question la tarification du carbone à laquelle sont soumises les entreprises agricoles québécoises. Que ce soit pour faire avancer nos tracteurs, sécher nos grains, ou encore chauffer nos bâtiments d’élevage et nos serres, nous payons lourdement pour un système qui échoue à atteindre ses objectifs environnementaux, tout en nous condamnant à un désavantage compétitif flagrant face à nos acolytes des autres provinces et à la quasi-totalité des états américains.
Cette semaine, nous nous attardons à la complexité de ce système et explorons comment celle-ci permet au gouvernement provincial de semer la confusion quant à ses objectifs et ses véritables retombées.
Le système de plafonnement et d’échange des émissions (SPEDE) de gaz à effet de serre — la fameuse "bourse du carbone" — n’est pas une taxe à proprement parler. Conséquemment, il est en pratique plus difficile à démanteler. Mais il est temps de reconnaître que, malgré cette complexité administrative et juridique, les dommages qu’il engendre justifient amplement une révision sérieuse, voire un retrait complet du système, tel qu’il est appliqué aujourd’hui.
Rappelons le principe de départ, en théorie, si prometteur: fixer un plafond global d’émissions, distribuer ou vendre des droits à polluer et laisser les entreprises s’échanger ces droits entre elles pour favoriser les plus vertueuses. En théorie, cela devrait inciter les grands émetteurs à réduire leurs émissions pour vendre leurs surplus à d’autres.
Dans les faits, les grands émetteurs — souvent des industries lourdes ou des producteurs d’énergie — reçoivent ou achètent ces droits à un coût qu’ils refilent directement aux consommateurs en aval, notamment aux producteurs agricoles. En effet, alors que les productrices et producteurs agricoles sont, en théorie, exemptés de la bourse du carbone, ils contribuent au Fonds d’électrification et de changements climatiques (les sommes de la bourse vont à ce Fonds) chaque année avec des sommes importantes, soit plus de 480 M$ depuis 2015.
Autrement dit, ceux qui sont censés être pénalisés pour leurs émissions n’ont en réalité aucun incitatif réel à les réduire : ils envoient simplement la facture ailleurs. Ce mécanisme, loin d’encourager une transition écologique, agit comme un écran de fumée alourdissant les coûts pour une clientèle déjà éprouvée financièrement et qui n’a pas accès à des solutions alternatives réalistes ou abordables.
Nous nous retrouvons donc avec un système à deux vitesses : d’un côté, des grandes entreprises qui continuent à polluer sans réelle contrainte; de l’autre, des PME, des producteurs et des citoyens qui paient la facture. L’objectif environnemental est vidé de sa substance, tandis que les effets économiques, eux, sont bien réels et douloureux.
Soyons clairs: un marché du carbone inefficace ne vaut pas mieux qu’une taxe injuste. Au contraire, il est moins transparent, plus facile à contourner, et plus difficile à expliquer à la population. Le gouvernement actuel en profite ainsi pour se remplir les poches, en ponctionnant directement dans les nôtres.
Si le gouvernement est sincère dans son engagement climatique, il doit avoir le courage de remettre en question ce mécanisme. Un refus de le faire révélerait son intention réelle de combler son gouffre budgétaire creusé en grande partie par ses investissements discutables et mal ciblés.
La transition énergétique ne se fera pas à travers des politiques qui manquent leur cible. Il est temps de revoir notre approche collective, de recentrer nos efforts sur de véritables incitatifs à la réduction d’émissions et de bâtir un système équitable, transparent et réellement efficace.