1er juillet 2023

Prise de position du CJF
Projet de loi 31 en habitation : de l’huile sur le feu de la crise du logement

En ce 1er juillet, alors que des centaines de ménages risquent de se retrouver sans logement en raison de la crise du logement, le Centre justice et foi (CJF) tient à joindre sa voix à celle et ceux qui dénoncent le projet de loi 31 déposé à l’Assemblée nationale par la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau. Le CJF déplore également l’attitude méprisante de la ministre ainsi que du premier ministre François Legault dans ce dossier.

Alors que le nombre de logements disponibles est famélique, que la flambée inflationniste rend le coût des loyers inabordables sinon prohibitifs pour un grand nombre de ménages, et que les campements d’itinérants se multiplient à Montréal comme ailleurs au Québec, la ministre Duranceau y allait de propos profondément troublants à l’égard des locataires ayant recours à la cession de bail de gré à gré, l’une des rares stratégies leur permettant d’accéder à des loyers à prix abordable dans la conjoncture actuelle.

En entrevue sur les ondes de Noovo Info, la ministre Duranceau s’est empressée de défendre son projet de loi et son désir de rendre exceptionnelles et rarissimes les cessions de bail entre locataires, y voyant une usurpation des droits sacro-saints des propriétaires immobiliers : « Tu ne peux pas utiliser un droit qui n’est pas le tien de céder un bail, quand ce n’est pas ton immeuble. Le locataire qui veut faire ça, qu’il investisse en immobilier ». En termes de mépris et d’insensibilité, on ne fait guère mieux.

La ministre se félicitait même d’avoir introduit cette mesure et de la controverse que suscite son projet loi, qu’elle présente comme une mise à jour nécessaire des politiques de logement. « Je ne suis pas surprise. Clairement, on change beaucoup de choses, on change des choses auxquelles on n’avait pas touché depuis 40 ans et ça fait des remous. Je pense que ce sera pour le mieux. » La ministre laissait ainsi entendre que tout changement est un progrès – surtout lorsque c’est son propre gouvernement qui l’impose – et que toute résistance au changement est simplement l'expression d'une crainte plus ou moins irrationnelle.

Saluée par la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) et par l’Association des propriétaires du Québec (APQ), le projet de loi 31 a été aussitôt dénoncé par les associations de défense des locataires comme le RCLALQ (Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec). Ces dernières n’ont d’ailleurs jamais été consultées par la ministre et les membres de son cabinet, contrairement aux représentant.e.s des lobbys de l’immobilier. Pensons ici à la rencontre de la ministre Duranceau avec la lobbyiste Annie Lemieux, sa partenaire d’affaires lorsqu’elle était courtière immobilière, rencontre qui a d’ailleurs forcé la commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale à ouvrir une enquête. Un indice patent de l’absence de transparence et de l’attitude antidémocratique du gouvernement de François Legault, pour qui les locataires ne sont visiblement pas des citoyen.e.s ayant les mêmes droits que les autres.

Un problème de fond

Face à la flambée inflationniste et à la rareté généralisée de logements à prix modique, la réaction du gouvernement Legault a trop longtemps été celle de nier l’existence même d’une crise du logement. Devant l’évidence, le gouvernement semble néanmoins avoir trouvé une nouvelle façon de justifier son inaction : se réjouir de la hausse des prix des propriétés, un indice, disait récemment le premier ministre, de la vitalité économique et de l’enrichissement collectif du Québec, qui « rattraperait » ainsi l’Ontario, maître-étalon de la politique caquiste. La solution à cette crise passe selon lui par « les marteaux et les clous » et la construction de nouveaux immeubles. Il feint ainsi d’ignorer que cette rareté est en bonne partie liée aux flips immobiliers, aux rénovictions, aux conversions de logements en condos, à « l’airbnbisation » du parc immobilier et surtout, au sous-financement chronique et systémique du logement social. Non sans raison, les municipalités et le Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), entre autres, n’ont eu cesse de réclamer la construction d’ici 5 ans de 50 000 unités de logement sociaux et communautaires (publics, coopératifs ou sans but lucratif), le droit au logement étant constamment mis en péril par l’appât du lucre qui est au cœur du marché immobilier capitaliste.

Le projet de loi 31 facilitera aussi la tâche des propriétaires « rénovicteurs » qui évincent les locataires de leurs logements sous prétexte de rénovations. Si le projet de loi 31 propose, certes, de majorer les compensations financières versées aux locataires chassés de leur logis, comme le note Cédric Dussault, co-porte-parole du RCLALQ, « ce que les gens veulent, c’est rester dans leur appartement, dans leur communauté, pas être compensés ». C’est particulièrement vrai pour les locataires âgés, en perte d’autonomie ou aux prises avec des troubles cognitifs, pour lesquels un tel déracinement peut être immensément traumatique, ceux-ci perdant leurs réseaux de solidarité immédiats, de même que leurs repères spatiotemporels.

À cet égard, il faut souligner que malgré la lutte admirable du collectif de lutte Sauvons le Mont-Carmel et les demandes en ce sens de nombreux intervenants, le projet de loi 31 ne propose aucune mesure structurante pour freiner et empêcher les conversions de résidences privées pour personnes aînées (RPA) en logements locatifs standards. Ni d’ailleurs pour garantir aux résidentes et résidents de RPA l’accès à des services de qualité (santé, repas, entretien ménager et loisirs), et ce, à des coûts abordables.

Démarchandiser le logement

Alors que le logement est un droit humain fondamental, le projet de loi 31 de la ministre et ex-courtière immobilière France-Élaine Duranceau en accentuent plutôt la marchandisation. En ce 1er juillet, le Centre justice et foi tient donc à rappeler l’urgence de mettre en place dès maintenant des politiques de logement justes et solidaires, comme y invitait la revue Relations en 2019. La solution à cette crise du logement n’est pas simple, mais elle passe nécessairement par un financement important et récurrent des logements sociaux et communautaires, ou la création des fiducies foncières communautaires par exemple, des solutions qui s’inscrivent dans une « démarchandisation » de vastes pans du parc immobilier de nos villes et villages, afin de le soustraire à la logique spéculative.

Cet enjeu loge d’ailleurs au cœur des préoccupations de la revue-phare du Centre justice et foi : dès les années 1940, le rédacteur en chef de Relations, le jésuite Jean d’Auteuil Richard, faisait du droit au logement l’un des axes fondateurs des réflexions et mobilisations de la jeune revue. Ce dernier a d’ailleurs cofondé la toute première coopérative d’habitation à Montréal, l’Union économique d’habitations, dans le quartier Rosemont. Un enjeu vital qui n’a eu cesse d’être au cœur des réflexions et engagements de la revue Relations et du Centre justice et foi au fil des décennies.

 

Centre justice et foi, 25, rue Jarry Ouest, Montréal, Québec H2P 1S6
Contact : Emiliano Arpin-Simonetti | tél.: 514-387-2541, p.236

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