Le monde syndical discute rarement sur le phénomène religieux. En fait, comme la plupart des autres secteurs de la société, il le considère comme un élément de la vie privée des citoyens. Néanmoins, lors des débats sur les accommodements raisonnables (la commission Bouchard-Taylor, en 2007-2008), puis sur le projet de charte des valeurs du Parti québécois, en 2013-2014, la FNEEQ, notre fédération syndicale, s’est prononcée sur la neutralité religieuse de l’État. Pour l’essentiel, sa position suivait les grandes lignes du rapport Bouchard-Taylor.
La poursuite du débat social sur la question, incluant le changement de position de Charles Taylor, et l’arrivée du parti de François Legault au pouvoir en octobre dernier a relancé le débat. Pour mémoire, le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) a décidé de faire de la laïcité l’une de ses priorités et d’interdire le port de signes religieux aux employés de l’État assumant des rôles d’autorité, y compris les enseignantes et enseignants du primaire et du secondaire. Cette prise de position suscite nécessairement des débats dans le milieu syndical, y compris dans notre Fédération.
Cinq positions ont donc été débattues le 6 décembre dernier, lors du conseil fédéral de la FNEEQ. Les membres de ce conseil ont décidé de renvoyer ces propositions de positions aux syndicats locaux pour consultation, et de se retrouver en conseil fédéral extraordinaire le 15 février prochain pour en débattre à la lumière de ces consultations. Vous serez donc invités, d’ici quelques jours, à prendre part à un sondage visant à éclairer la délégation du SCCCUM en vue de ce conseil extraordinaire. Voici quels sont ces propositions de positions et les principaux arguments débattus (de manière non exhaustive).
1. Les privilèges des institutions religieuses
Premièrement, la FNEEQ devrait-elle revendiquer « l’élimination des privilèges religieux institutionnels (fiscaux, législatifs, symboliques), y compris le retrait du crucifix des institutions étatiques » ? Rappelons que les privilèges religieux institutionnels incluent les exemptions d’impôts pour les églises et autres temples, les numéros de charité pour ces mêmes organisations, les subventions aux écoles privées, etc. Certains souhaitent préserver ces privilèges, cela par tradition et par adhésion à la mission caritative des organisations religieuses. D’autres soutiennent que l’État ne peut être réellement neutre s’il privilégie des organisations religieuses ou affiche des symboles chrétiens (comme le crucifix du Salon bleu de l’Assemblée nationale).
2. La modification sans négociation des conventions collectives
Le second enjeu soumis au débat est le suivant : la FNEEQ devrait-elle s’opposer « à la modification unilatérale des conventions collectives par un projet de loi sans négociation préalable » ? Rappelons que l’État a le pouvoir de modifier des conventions collectives (comme lorsqu’il oblige un retour au travail par loi spéciale). Or, si une loi est adoptée qui interdit le port de signes religieux aux enseignants, les conventions devront être amendées pour en tenir compte. Certains, au sein du milieu syndical, s’opposent par principe aux modifications sans négociation, parce que cela contredirait le droit des travailleurs de négocier leurs conditions de travail. D’autres soutiennent que cela va de soi pour faire respecter la nouvelle loi et en permettre l’implantation uniforme.
3. L’interdiction du prosélytisme religieux
En troisième lieu, la FNEEQ devrait-elle soutenir « l’interdiction du prosélytisme religieux au personnel de l’État dans l’exercice de ses fonctions » ? Rappelons que la neutralité religieuse de l’État exige, en théorie, non seulement la séparation de l’État et des organisations religieuses, mais aussi l’indifférence de l’État pour toutes les croyances religieuses (l’État étant en pratique agnostique). Dans ce contexte, certains soutiennent qu’il est inacceptable qu’un employé de l’État tente de convaincre ses bénéficiaires d’adhérer à sa vision du monde dans le cadre de ses fonctions. D’autres répondent que l’interdiction du prosélytisme pourrait être récupérée pour limiter l’autonomie professionnelle et la liberté d’expression des employés de l’État qui veulent donner accès à une diversité de points de vue, notamment dans le cadre de leur enseignement.
4. Le port de signes religieux par les employés de l’État
Quatrièmement, la FNEEQ devrait-elle soutenir « l’acceptation du port de symboles religieux pour les enseignantes et enseignants, de même que tous les corps d’emploi de l’État » ? Cet enjeu, au cœur de la polémique entourant la charte des valeurs du Parti québécois (2013), fait l’objet de vifs débats. Certains affirment que le port de signes religieux est en soi une manifestation de prosélytisme et que, conséquemment, de tels signes ne devraient avoir aucune place au sein de l’État. D’autres soutiennent que les signes religieux font partie de l’identité d’une personne et que, conséquemment, un ou une employé-e de l’État peut les porter dans la mesure où il ou elle agit avec le même professionnalisme que les autres employés-es de l’État.
5. Les situations où il est permis d’interdire les signes religieux
Cinquièmement, la FNEEQ devrait-elle se donner pour principe que « la réglementation particulière entourant le port de certains symboles religieux ne [peut] repose[r] que sur une évaluation des entraves réelles aux services rendus » ? Dans l’éventualité où le port de signes religieux serait autorisé, certains soutiennent qu’il faudrait effectuer une évaluation approfondie avant d’interdire le port d’un signe au travail (par exemple, lorsqu’il y a un risque pour la sécurité). D’autres soutiennent qu’une telle évaluation ne serait pas nécessaire, soit parce que le port de signes religieux par les employés de l’État devrait être interdit, soit parce que la décision d’interdire devrait être laissée au bon jugement de la direction.